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Ce 6 décembre 2015, j’ai mal et j’en veux à cette France qui chancelle

dimanche 6 décembre 2015 par mrap

« Ce 6 décembre 2015, j’ai mal et j’en veux à cette France qui chancelle. Croyons en l’avenir car nous le ferons nous-même. Transformons le vent de la colère en espoir »

Chères et chers compatriotes,

Ma France a donné au monde la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen. Son Conseil National de la Résistance a montré le chemin des jours heureux. Cette France là, je l’aime passionnément. Face à des attaques ignobles, son peuple a fait renaître des bouffées d’espoir, inscrites dans la devise : Liberté, Egalité, Fraternité et le fondement laïque de notre République. Mon héritage, le creuset de ma Nation, c’est ce souffle, celui de nos aînés. Et puis, en dépit de l’immense communion humaine, sursaut républicain qui, après les attentats du fascisme djihadiste le 7 janvier et le 13 novembre, a rassemblé des millions de nos concitoyens, cette France là, ouverte à l’autre, accueillante, elle a abandonné ses valeurs universelles. Au travers de son vote du 6 décembre, elle a fait un grand pas vers le gouffre des idées nauséabondes. Dans de nombreuses régions, épuisée, percluse, inquiète, elle s’est largement donnée au Front National, premier parti de France, qui a su la convaincre que l’étranger, le musulman, l’immigré, pillent nos acquis sociaux et notre sécurité sociale ; qu’ils volent notre travail et notre retraite ; qu’ils alimentent la délinquance ; qu’ils nous envahissent ; qu’ils menacent notre société judéo-chrétienne. Les mensonges et l’extrême violence des mots ont gangrené toute ma France. Comment en est-on parvenu là : travailleurs sans travail ; salariés sans droits ; paysans et petits commerçants en galère ; jeunes sans jeunesse ; humains sans dignité ; familles sans logement - tous devenus des proies pour les doctrines extrémistes - banlieues en déshérences ; frères abandonnés, cherchant un pays d’accueil et perdant la vie sur la route de l’exil ; mafias ; argent sale ; monde installé dans de vilaines guerres et des agressions terroristes… Comment arrêter, cette course au précipice ? Face à la montée de la misère, à la destruction du patrimoine naturel, le monde danse sur un volcan. Comment ne pas avoir peur de la radicalisation meurtrière de certaines fractions de nos sociétés ? Ce soir, je ne peux plus entendre les inutiles péroreurs, les discours tellement loin de la liberté vraie, pleine, vivante.

Pour que la catastrophe n’arrive jamais, depuis que je milite, j’ai fait de mon mieux mais ma tâche n’est pas accomplie. Ce qui meurt nous annonce ce qui risque de naître : une révolution réactionnaire revancharde, pour le pire. Comment admettre, face à l’horreur économique et aux trahisons où notre pays piétine depuis tant d’années, qu’il n’existerait pas d’autre voie que les pratiques d’exclusion et de violence ? Le ventre d’où sort la bête immonde, il est mon ventre. Ainsi, je n’ai pas su témoigner que le racisme est la plus répugnante des laideurs de l’humanité ; pas su montrer les causes de la corruption, de la paupérisation ; pas su rappeler les crimes abominables contre les peuples colonisés et la dette à leur égard. Je n’ai pas su crier que la vie de tous ceux qui souffrent de par le monde n’a pas moins de valeur que la mienne. Je n’ai pas su persuader que les sociétés se développent par le métissage ; pas su dire que l’avenir du troisième millénaire n’existera que dans le dialogue des cultures et que les civilisations meurent de l’isolement. Mes repères vont-ils disparaître ? Mes certitudes vont-elle faire long feu ? Ma maison France chancelle, elle est à reconstruire de fond en comble. Dans ces cruelles circonstances, je regarde la France telle qu’elle est devenue et j’ai envie de gémir. Sans doute comme beaucoup qui ont refusé la pente des abandons, je suis meurtri. J’ai de la peine. Ma douleur et ma tristesse sont profondes. J’ai mal à ma France des combats antifascistes.

Mes engagements de toute une vie me donnent le droit d’être en colère. C’est une mauvaise conseillère et qu’on me pardonne. Mais ce soir, j’en veux à l’oligarchie, avide d’un argent ruinant la société, condamnant l’Homme et le transformant en esclave. J’en veux aux médias privilégiant l’unanimisme de la pensée unique, les discours, les larmes et le sang racoleurs sur les débats de fond. J’en veux aux politiques, cynisme en bandoulière, érigeant l’opportunisme en doctrine. J’en veux à ceux, fatalistes face à la misère, croyant à l’euphorie de la mondialisation heureuse. J‘en veux aux abstentionnistes pensant que l’idéal ne se trouve nulle part. J’en veux aux adeptes de l’individualisme vulgaire galopant. Et même, j’en veux aux pauvres, aux exclus, aux précaires, allant dans le mur la fleur au fusil. J’en veux aux révolutionnaires de la charité et de l’aide humanitaire, béquilles du capital érigé en idole J’en veux à ceux, qui depuis tant d’années, manquent au devoir d’hommage aux mémoires nationales blessées et oubliées. J’en veux à ceux, commettant l’erreur tragique de croire qu’un Front National supposé plus respectable, plus social, plus crédible, est devenu un parti fréquentable. J’en veux à la prudence coupable de ceux, désertant le front du refus contre la haine de l’autre, contre la xénophobie, contre la préférence nationale tolérée. J’en veux à l’imprudence naïve de ceux, pensant que les mesures uniquement sécuritaires éradiqueront le terrorisme. Bref, ce soir, qu’on me pardonne, je suis en colère contre ceux, s’illusionnant depuis trop longtemps sur les menaces et croyant à la panacée. En colère contre ceux, ne voulant pas s’engager collectivement pour le vivre ensemble, la citoyenneté, la justice sociale, la camaraderie et la paix. En colère contre ceux, qui par racisme, compromission, lâcheté ou bêtise ont fait le lit du Front National, camouflé derrière le Rassemblement Bleu Marine.

Après d’autres crimes sauvages partout dans le monde, ceux qui ont frappé la France le 13 novembre dernier sont la goutte d’eau qui fait déborder le vase des pires événements de notre histoire politique : adoubé par le suffrage universel, le vautour d’extrême droite, incarnant le nationalisme fermé aux autres, peut demain nous dévorer. Face au vertige identitaire et à la tentation autoritaire d’un Etat brutal, l’heure est à la résistance.

« Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie

Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,

Tu seras un homme, mon fils  »

Rudyard Kipling

Les terroristes rêvent de guerre civile. Ce soir, ils ont gagné une bataille. Les Résistants qui ont vécu ce qu’a été la barbarie de l’extrême droite peuvent encore en témoigner. Comment imaginer que son enfant, le national populisme, puisse aujourd’hui menacer notre démocratie ? Ce soir, c’est dur de songer à rebâtir en demeurant fidèle aux engagements des Organisations de Résistance. Comme beaucoup, ma vie a été faite de rêves, de luttes, de militantisme syndical et associatif, d’engagements politiques. Je suis désappointé par ce monde qui aliène et ne rend pas heureux ? Les malheureux et les paumés de France ont la rage et légitiment leur choix mortel par : « On a tout essayé ». Ignorants crasse de l’histoire, ils oublient que jamais, nulle part dans le monde, l’extrême droite n’a apporté aux peuples le progrès social et économique. Je crains que le combat de ceux, pour qui vivre c’est lutter et ouvrir à tous les chemins de la fraternité, mon combat, ne soit pour longtemps la saga des vaincus. Et pourtant, les valeurs essentielles de la démocratie et de notre République ne doivent pas disparaître. Et pourtant, tant que le possible n’est pas fait, le devoir n’est pas rempli. Indignés, aux armes. Le Pays a besoin de vous. Chères et chers compatriotes, face à la France moisie, gardons une âme libre. Continuons et recommençons à parler politique sans avoir peur des mots de la solidarité contre la haine. Ayons la force de croire en l’avenir parce que nous le ferons nous-même. Chères et chers compatriotes, transformons le vent de la colère en espoir.

Jacques Declosmenil

45 années de militantisme syndical, associatif (Mrap), politique,

Ancien élu de la ville de Saint-Lô.