Rassemblement du 17 octobre 2014
Chers camarades et amis,
Nous saluons la présence Dominique Jouin, conseillère régionale communiste et de Christine Le Coz, conseillère générale, conseillère municipale socialiste. Le 17 octobre 1961, des dizaines de milliers d’Algériens manifestaient pacifiquement à Paris contre le couvre feu discriminatoire qui leur avait été imposé par Maurice Papon, préfet de police de Paris. Ils défendaient leur droit à l’égalité, leur droit à l’indépendance, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Ce jour là et les jours qui suivirent, des milliers de manifestants furent arrêtés, emprisonnés, torturés, notamment par la « force de police auxiliaire », ou, pour nombre d’entre eux, refoulés en Algérie. Des centaines d’Algériens perdirent la vie, victime d’une violence et d’une brutalité extrêmes des forces de police.
Grâce à votre présence, la vérité, sur ce qui s’est passé il y a cinquante trois ans, est en marche. Cependant, la France n’a toujours pas reconnu sa responsabilité dans les guerres coloniales qu’elle a menée, en particulier la guerre d’Algérie, et pas davantage le cortège de drames et d’horreurs qu’elles ont entraînées, comme le crime d’Etat que constitue le 17 octobre 1961.
Le 17 octobre 2012, le Président de la République a fait un premier pas, important, en déclarant : « Le 17 octobre 1961, des Algériens qui manifestaient pour le droit à l’indépendance ont été tués lors d’une sanglante répression, la République reconnaît avec lucidité ces faits. Cinquante et un ans après cette tragédie, je rends hommage à la mémoire des victimes. » Premier pas. En effet, le président de la République n’a pas repris le terme de crime et la responsabilité, sous entendue, n’est pas clairement définie.
Le Mrap demande, depuis longtemps, la mise en place d’une plaque aux abords du Mémorial Afrique du Nord à Saint-Lô, rappelant ce drame. Cela permettrait qu’un lieu unique rassemble le souvenir de tous les Français, d’alors, qui furent les victimes de la guerre d’Algérie : soldats engagés ou appelés, Algériens tués le 17 octobre 1961, harkis massacrés. Ce serait un acte fort de réconciliation des mémoires. Comme vous le savez, l’association du Mémorial AFN s’y oppose vigoureusement. Elle a d’ailleurs complété ses statuts pour demander : « qu’aucune modification ne soit apportée au Mémorial, ainsi que dans son environnement, dans un périmètre de 100 mètres, soit par la pose de stèle, plaque ou autres inscriptions sans le consentement unanime des associations. » La municipalité de droite François Digard a, logiquement, soutenu. Choix éminemment politique, la modification des statuts a été approuvée par le bureau municipal le 25 février 2014 ! En effet, aucune disposition légale ne l’imposait. Quelle sera l’attitude de la nouvelle municipalité ? Le 2 mars 2014, le candidat François Brière, s’est engagé à rencontrer rapidement le Mrap pour : « faire le tour des sujets qui nous préoccupent conjointement. » Nous l’avons relancé par un courrier du 9 septembre, demeuré sans suite. Jusqu’à ce jour, le maire semble oublieux de ses engagements et apparaît, tout autant indifférent à la commémoration du 17 octobre 1961, qu’il l’a été, le 4 août dernier, lors de la manifestation de solidarité avec les habitants de Gaza.
Tout cela est stupéfiant. Chaque pays et chaque communauté humaine sont confrontés à leur propre passé. Nous pouvons comprendre que le devoir de mémoire s’accomplisse avec un long retard, délai de pénitence mémorielle, intervalle nécessaire au refroidissement de la douleur, de la gêne ou de la honte. Mais, après cinquante trois années, le temps de la réconciliation des mémoires n’est-il pas venu ? Nos compatriotes algériens, issus de l’immigration, n’ont pas la même vision de la guerre d’Algérie que nous. La recherche sur cette guerre doit être encouragée dans un cadre franco-algérien, international et indépendant. Et, quelle que soit la volonté d’effacer l’histoire de la mémoire, il en reste des traces. Cela n’est pas sans effet. Devenus Français à part entière, les enfants des Algériens, marqués par le traumatisme de la guerre, héritent des violences mises au secret par la France. Les jeunes d’origine maghrébine, se vivent, souvent, comme en marge de la République, avec des parents subissant un contexte social défavorable. Que peuvent-ils ressentir quand ils constatent que, des élus, des associations d’anciens combattants, sont coalisés pour nier la souffrance vécue par leurs pères ? Que peuvent-ils ressentir quand, certains, osent encore parler des « bienfaits de la colonisation ». Les colères et les révoltes ont des racines. Nier ces racines ne les fait pas disparaître. Ignorer les faits, les travestir, c’est les faire perdurer indéfiniment dans les têtes, car cela passe de générations en générations. Maintenir dans la censure la violence de cette histoire, telle le drame du 17 octobre 1961, c’est dire à ces jeunes que, ce qu’ils ressentent, n’a pas de fondement.
Pourtant, ce n’est qu’au prix de la vérité, que pourra disparaître la séquelle la plus grave de la guerre d’Algérie, à savoir : le racisme, dont sont victimes nombre de citoyennes et de citoyens, ressortissant d’origine maghrébine ou des anciennes colonies. Il est intolérable que certains osent célébrer le putsch des généraux à Alger contre la République, que certains osent « honorer » les criminels de l’OAS. Voilà pourquoi chaque année, contre vents et marées, nous commémorons le crime du 17 octobre 1961.
Et puis, qui ne perçoit le contexte particulier que nous vivons. Une mobilisation citoyenne s’organise contre la barbarie de groupes, se réclamant d’une religion dévoyée, qui méprise et assassine l’Islam des Lumières et de la tolérance. A l’évidence, dans une période où les idées d’extrême droite s’inscrustent et progressent, où la guerre s’installe, un climat d’effroi peut entraîner des réactions incontrôlables. Il existe une détestable tentation islamophobe. Contre ce racisme, pour éviter tout basculement, il est des moments où la meilleure réponse aux barbares, aux fanatiques et aux racistes, est de réunir dans un même élan républicain les citoyens de diverses opinions philosophiques ou confessionnelles, attachés à la vérité et à la justice.
La France coloniale s’est affranchie de sa devise Liberté, Egalité, Fraternité. L’impact du passé colonial et postcolonial de la France, doit nous rendre attentifs aux Français, enfermés dans des catégories suggérant qu’ils ne sont pas d’ici : Français dits « d’origine immigré », dits « d’origine algérienne »… Certaines blessures du passé ont trop longtemps été tues. Dans une société définitivement multiculturelle, montrons à ces compatriotes, et à tous ceux venus d’ailleurs, que nous n’ignorons pas leur histoire. Que nous n’ignorons pas les malheurs qu’ils ont subis. Ceux qui restent passifs ou le refusent ont une vision très réduite de l’idéal démocratique. Ils prennent le risque que, demain, les valeurs de la République soient submergées par la haine de l’autre.
On ne construit pas la cohésion sociale sur les dénis et les silences. L’histoire de France comporte différentes facettes. Pour une juste appréciation du présent, et de notre identité nationale, toutes ces histoires doivent pouvoir se raconter, sans honte, ni gloire. Si l’on veut envisager le vivre ensemble aujourd’hui, il faudra bien dire la vérité sur les conditions du vivre ensemble, à l’époque coloniale. Nous croyons à la France Républicaine, celle des droits de l’homme et du citoyen. Les mensonges et l’occultation ne doivent pas ternir cette belle idéologie. C’est un long et difficile combat.
Certes, citoyens libres, nous sommes trop peu nombreux. Mais ce rassemblement est salutaire. Il est salutaire au moment où les français se disent de plus en plus racistes, sentiment largement partagé dans l’électorat de gauche. Il est salutaire au moment où la poussée du FN est plus forte que jamais. Il est salutaire au moment où les enjeux, liés à l’islam et aux musulmans, sont constamment instrumentalisés.
Merci pour votre présence. En effet, pour faire passer notre message de fraternité et, sortir de l’imaginaire colonial, afin de créer un nouveau monde, en accord avec les valeurs universalistes de notre pays, nous avons besoin de vous.
Chers camarades et amis, oui, merci pour votre présence, repère essentiel contre les extrémismes, contre les peurs et les amalgames. Merci de dire haut et fort que, pour une mémoire apaisée et une France rassemblée, le crime d’Etat du 17 octobre 1961 pas ne peut pas être oublié.
Jacques Declosmenil,
Président du comité du Mrap
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