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A Monsieur et Madame Benoît et Noëlle Leclerc-de-Sonis Directeurs du journal La Manche Libre

samedi 30 juillet 2016 par mrap

Monsieur et Madame les directeurs,

Je n’oublie pas que La Manche Libre se rattache à son fondateur Joseph Leclerc-Hardy qui durant l’occupation a réalisé un journal clandestin et a eu, à titre personnel par le Général de Gaulle, l’autorisation d’éditer le premier numéro le 26 novembre 1944.

Sans doute qu’à vos yeux, le Mrap fait partie de la gauche "laïcarde" qui fait le jeu des intégristes au nom de la lutte contre l’impérialisme. Il n’y a pas plus sourd que celui qui ne veut pas entendre... Néanmoins, sachant que vous revendiquez une liberté de ton et de jugement et une indépendance vis à vis de tout pouvoir en place (c’est une évidence concernant le comité du Mrap), je tiens à vous faire connaître mon écœurement, mon dégoût et ma révolte en constatant que semaines après semaines, la parole que porte votre journal au travers de la publication de courriers de lecteurs est xénophobe et largement islamophobe. Derniers exemples de ce genre de propos dans l’édition datée du 30 juillet :

- Les avocats de Salah Abdelslam, un des auteurs des attentats de Paris, "Dans un autre temps (...) auraient certainement acquitté les criminels nazis au procès de Nuremberg."

- " On a mis les Français à la porte de chez nous (Algérie) et nous viendrons bientôt vous envahir comme vous l’avez fait ici. Si tu crèves pas avant de rentrer, je te crèverai en France. (,,,) peut-on encore donner ce qualificatif à la France (fille aînée de l’église) avec près de 800 mosquées sur notre sol ?"

A relever aussi dans la rubrique Normandie la pleine page d’articles non signés : Nos plages sont-elles menacées ? "La première fois que j’ai vu des gens se baigner ici en djellaba, c’était en 2011. Maintenant, on voit ça chaque année. Voilà ce qui arrive avec la démocratie à outrance, un jour ça finit par vous retomber sur la gueule. (...) Ils sont dangereux, ils ne faut pas les laisser dans la nature (...)", démonstration couronnée par le classique alibi raciste "C’est malheureux parce que les musulmans vont finir par se retrouver dans le même panier, alors que j’en connais des très bien !"

Enfin, fuite en avant dans l’idée d’une menace pour l’identité française en "cas d’invasion par des migrants pacifiques ou non", vous faites ainsi la promotion du livre de Thomas Flichy de La Neuville, Les migrations ne détruisent que les cités mortes : "lorsque les cultures entrent en contact, c’est (...) la plus vivante qui l’emporte."

Trop c’est trop. Certes la liberté de vos choix éditoriaux doit être préservée mais comment admettre qu’il soit impossible d’argumenter au titre d’un droit de réponse alimentant le débat qui n’est jamais accordé ?

Il me semble que votre journal se positionne clairement comme soutenant la pensée chrétienne. Au vu en particulier du courrier des lecteurs, comment ne pas ressentir que cette pensée apparaît de plus en plus comme celle de l’idéologie réactionnaire revendiquée par la droite catholique attachée au mythe de la France éternelle et de ses racines ou pire encore. Que vous le vouliez ou non, celle du Front National affichée par Marion Maréchal Le Pen qui affirme : " les musulmans ne peuvent avoir le même rang que la religion catholique en France."

Dans un contexte de crise économique et de terrorisme de masse, il est évident que votre choix de véhiculer uniformément des stéréotypes négatifs contre les musulmans et de les diaboliser contribue activement au renforcement d’une société intolérante et à mettre à mal la coexistence pacifique entre les communautés. La déontologie et le sens des responsabilités ne devraient-ils pas conduire les journalistes et les médias à éviter de promouvoir la pente d’une rhétorique de haine sur la base d’une appartenance à une religion ?

Comme hebdomadaire de la mouvance chrétienne, puissiez-vous demain valoriser l’écho de la parole des représentants religieux qui, comme suite à l’assassinat du prêtre de Saint-Etienne du Rouvray, Jacques Hamel, et dans la droite ligne du pape François qui s’est associé à "la douleur et à l’horreur" appellent à combattre cette rhétorique. Contre un crime odieux, aujourd’hui, des catholiques et des musulmans sont la main dans la main et prient ensemble.

Il est des paroles qui tracent la voie à suivre. Archevêque de Rouen : "Pardonnez-leur, il ne savent pas ce qu’il font (...) On vous dit d’aimer mais moi je vous dit d’aimer vos ennemis et même de prier pour eux (...) Dieu a essayé de nous apprendre à ne pas avoir une politique du bouc-émissaire." Président de la conférence des évêques de France : "Des sentiments divers nous habitent en ces instants. Nous savons bien pourtant que seule la fraternité, chère à notre pays, est ce qui conduit à une paix durable. (...) Les musulmans "ne vivent pas dans la peur et dans la honte, mais nous aident à bien comprendre que ces actes ne sont pas compatibles avec l’islam, en le disant et en le vivant."

Lecteur régulier de votre journal, je ne peux refuser de voir ce qui se fait au nom de la liberté de la presse. Comme militant et citoyen j’ai conscience de ce qui blesse une société, une communauté, une personne, moi-même. Alors comment laisser faire sans réagir, même si face à votre pouvoir médiatique dans le département, la parole que porte le Mrap n’est qu’un grain de sable ?

,Demain si les menaces sur les valeurs du Conseil National de la Résistance, sur la démocratie, sur l’unité de la nation, sur la liberté intimidée par le tout sécuritaire, devaient se muer en cauchemar, chacun serait face à ses responsabilités. En vous adressant cette lettre, sans illusion, je veux souligner le péril mortel de jouer avec le feu qui consume le vivre ensemble et me convaincre que j’ai fait ce que j’ai pu pour éviter la montée de l’intolérance et le pourrissement.

Je vous prie de croire, Madame, Monsieur les Directeurs, en l’assurance des mes sentiments militants attristés.

Jacques Declosmenil


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