REFORME CONSTITUTIONNELLE
Madame et Messieurs les Parlementaires du département de la Manche.
Madame le Député,
Monsieur le Sénateur,
Monsieur le Député,
Comme vous le savez le président de la République et le gouvernement ont affirmé leur détermination à lutter contre tous les actes racistes, notamment anti-musulmans. Mobiliser contre le racisme doit être une grande cause nationale.
Durant l’année 2015, les citoyens de notre pays ont été frappés à plusieurs reprises par de sanglants attentats terroristes qui ont conduit la société à s’interroger sur elle-même. Après le terrible drame du 13 novembre 2015, l’état d’urgence a été décrété. Le Parlement l’a prolongé de trois mois. Aujourd’hui, il est proposé que le Congrès l’inscrive dans la Constitution. Certes, des mesures exceptionnelles étaient nécessaires dans l’urgence pendant les douze jours qui ont suivi ces attentats. Mais il nous semble difficilement compréhensible qu’elles puissent encore actuellement s’ajouter aux divers dispositifs judiciaires et policiers de notre Etat de droit. Nous récusons qu’elles soient « constitutionnalisées ». En effet, la pérennisation de l’état d’urgence - par delà les risques de bavures, dérives et instrumentalisations à d’autres fins que celles mises en avant - recèle de graves dangers.
Cet état confère des prérogatives d’exception au pouvoir exécutif et administratif, hors du contrôle du pouvoir judiciaire, garant essentiel du bon fonctionnement de la démocratie. Cet état peut être une menace pour les libertés publiques et permettre d’interdire toute voix dissonante. Des faits récemment soulignés par des avocats en attestent. Nous sommes d’autant plus préoccupés par toute entorse aux Droits de l’Homme et aux libertés fondamentales, collectives et individuelles, que le gouvernement pourrait renoncer aux obligations liées à la Convention Européenne des Droits de l’Homme.
Eu égard à des dispositions législatives et réglementaires d’égalité devant la loi, actuellement suffisantes pour mettre hors d’état de nuire les terroristes, sans qu’il soit besoin de limiter les droits de tous, l’efficacité d’une extension de la déchéance de la nationalité est inexistante. Elle serait porteuse de divisions au sein de la société. Ce serait un mauvais signal adressé à tous ceux qui doutent de leur appartenance pleine et entière à la nation. Cette idée de déchéance, défendue de longue date par l’extrême droite qui veut bannir le droit du sol, crée et renforce les préjugés xénophobes et les aveuglements identitaires. Elle participe à désigner des boucs émissaires et ouvre la porte aux discriminations racistes.
Forts de la compétence et la reconnaissance justifiées par de longue années de lutte pour la paix et contre le racisme, nous sommes convaincus qu’il serait très dangereux de « graver dans le marbre de la Constitution » un dispositif d’exception comme l’état d’urgence, risquant de devenir une norme et dont on ne sortirait plus. De même, y inscrire cette déchéance, en particulier contre des français au prétexte de leur bi nationalité, nous renvoie à des pages sombres de notre histoire, douloureuses pour ceux qui en furent les premières victimes au nom de la « race ». Vu les conventions internationales, toute disposition aboutissant à faire d’un Français un apatride serait également intolérable.
Quelle utilisation serait faite de l’état d’urgence et de la déchéance de la nationalité « constitutionnalisés » par un gouvernement décidé à les utiliser pour combattre ses adversaires, à réprimer toute opposition démocratique et à imposer ses vues idéologiques mortifères pour les libertés publiques ? Qui peut nier que l’extrême droite est en embuscade ?
De plus, des mesures, prises sous la pression d’un événement et d’une émotion et touchant aux principes mêmes de notre République, ne cautionneraient-elles pas l’idée de sa fragilité ? Ne constitueraient-elles pas une sorte de victoire du terrorisme ? Aux yeux du monde, n’est-ce pas, discréditer patrie des Droits de l’Homme que de se résigner à une ridicule et inacceptable modification de la Constitution en succombant par faiblesse au populisme ?
Ce qu’il faut d’abord opposer à la terreur, c’est davantage de démocratie. Il convient d’apporter la preuve à nos concitoyens traumatisés que les agressions contre la sécurité et la paix civile ne peuvent être combattues par de futurs matins bruns, qu’annoncent les surenchères autoritaires, inégalitaires et identitaires. S’engager dans la construction d’une société plus juste, plus solidaire et plus égalitaire est la meilleure réponse. Vous vous honoreriez et honoreriez tous les citoyens français et étrangers de notre pays qui aspirent à la sécurité en manifestant que « vivre ensemble » avec nos différence ne doit pas être rongé par des décisions irréversibles.
Aussi, nous vous serions obligés de bien vouloir nous faire connaître votre position sur l’état d’urgence, l’extension de la déchéance de la nationalité et leur éventuelle inscription dans la Constitution.
Dans l’attente, nous vous prions de croire, Madame le député, Monsieur le Sénateur, Monsieur le député, en l’assurance de notre haute considération.
Pour le Comité du Mrap,
Le président,
Jacques Declosmenil
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