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21 MARS 2015 : SEMAINE D’EDUCATION CONTRE LE RACISMEME

samedi 21 mars 2015 par mrap

Avec effroi nous avons appris l’attaque terroriste commise à Tunis. Le terrorisme frappe indifféremment des deux côtés de la Méditerranée. Dans un tel contexte, cette semaine d’éducation contre le racisme est la bienvenue. Elle doit aider chacun à mieux comprendre et à changer. Nous sommes des militants contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples. Nous sommes déterminés à construire, ici, et à travers le monde, des sociétés fondées sur la justice, la dignité, le pluralisme, la reconnaissance et le respect des différences.

Avons-nous raison ? Nos arguments peuvent-ils être entendus ? Nous en doutons parfois. Certes, l’immense mobilisation du 11 janvier dernier du peuple de France, contre l’abominable djihadiste radical, témoigne de la vigueur des valeurs républicaines. Mais, nul ne peut nier la forte montée des idées xénophobes et racistes dans une large couche de la population. De plus en plus de nos concitoyens sont déçus par des politiques insupportables économiquement et humainement. Ils sont prêts à tomber dans la gueule du loup.

Nous sommes dans un monde où les liens et solidarités se décomposent et se disloquent. Nos arguments ont été balayés par les stratégies de manipulation des masses et par l’obscurantisme. Nous voudrions rappeler ce que le Mrap disait, dans une lettre ouverte à Georges Bush, après les attentats commis à New York, le 11 septembre 2001.

« Comme vous et vos concitoyens, nous avons ressenti l’horreur des attentats venant de frapper votre pays. Nous sommes solidaires de votre deuil.

Vous préparez contre le terrorisme une campagne militaire. Vous disposez d’un budget, dont le montant sidérant, dépasse notre entendement. Et vous êtes convaincu de gagner la guerre contre le terrorisme.

Mais là, nous ne vous suivrons pas. Le terrorisme ne se réduit pas à un homme, ni à un groupe. Le terrorisme est diffus, et se développe sur le terreau des inégalités. Pour vaincre le terrorisme, la force ne doit pas primer sur la justice, qui n’est ni vengeance, ni croisade.

Commencez par annuler la dette des pays pauvres. Ainsi ces pays pourront remettre sur pied leur économie, rouvrir leurs écoles et leurs dispensaires. Ainsi ces pays pourront accéder à un développement normal. Réduisez les dépenses d’armement. Cela permettra de s’attaquer à la faim dans le monde. Elle tue un enfant toutes les six secondes ! Cessez d’imposer l’ouverture de toutes les frontières à l’invasion de vos surplus agricoles. Sous le couvert d’assistance, le résultat est de ruiner l’agriculture des pays du Sud. Cela rend aussi ces pays encore plus dépendants de l’aide occidentale. Pensez à l’état de la planète que vous léguerez aux générations futures. Renoncez à détruire, par l’épuisement des ressources et des objectifs à court terme, des sites qui font le patrimoine de l’humanité. Faites pression pour la création d’un Etat Palestinien dans les frontières de 1967, à côté de l’Etat Israélien. Cessez d’appeler le « bien » tout ce qui relève de votre conception, et le « mal » tout ce qui s’y oppose. Le manichéisme aggrave la confusion et le désordre du monde. L’âge des croisades est révolu ! Renoncez à une politique de domination de la planète entière. Acceptez de rencontrer, sur un pied d’égalité, les autres nations, même les plus faibles. Vous rallierez ainsi à votre cause de nombreux peuples à la surface du globe. Attaquer le terrorisme à la racine, est le meilleur moyen de prévenir les attentats aveugles, Dans ce combat, nous serions à vos côtés. »

Plus de dix années se sont écoulées depuis cette lettre. L’économie libérale et la finance ont finalement imposé la poursuite et l’aggravation de leur politique. Les puissants ont continué de faire du tort aux faibles. Chacun connaît les situations dramatiques existant au Proche et Moyen Orient, à Gaza, au Mali et dans la zone du Sahel, en Centre Afrique… Ces situations résultent des reliquats et des conséquences de l’ordre colonial, de l’humiliation des peuples arabo-musulmans, de l’utilisation par l’occident de l’Islamisme radical contre les forces progressistes, de la connivence avec des dictateurs sanguinaires, des crimes de masse, des interventions impérialistes. Ces situations résultent de l’injustice, de la dette, de la misère. Elle est toujours propice à la prospérité des croyances les plus folles. Le temps n’est-il pas venu de regarder ce qui se passe bien en face ? Des monstres sont sortis de nos flancs. Nous les avons fabriqués. Le temps n’est-il pas venu d’en tirer toutes les conséquences ? Où est le chemin de l’espérance ? Où est l’idéal à poursuivre ? Hélas, le Mrap avait raison. Comment, ne redirait-il pas que le terrorisme ne sera pas vaincu par la seule répression guerrière ou policière. Le terrorisme ne sera pas vaincu, par le racisme et la haine. Le terrorisme, il sera vaincu par la construction d’un monde plus juste et plus fraternel. Aujourd’hui, où est la réelle volonté de changer son injuste ordonnancement ?

Le 17 novembre 2014, le comité du Mrap a tenu une conférence de presse. Il soulignait « Ces détresses ont des causes : droits des peuples mis au rancart, ravages des politiques néo-libérales du Fond Monétaire International s’acharnant à démanteler les Etats et les services sociaux. (…) Le démantèlement de l’action sociale des Etats, tout comme les politiques répressives menées par les gouvernements en place, ont des suites. Ils laissent la voie libre à des mouvements qui se replient sur des valeurs identitaires. Ces mouvements préconisent des modes de vie et d’organisation tournés vers un passé souvent mythifié : Wahhabisme ; Salafisme. » Nous voulons le pétrole et l’argent des Saoudiens et des Qatari. Sauf que pétrole et argent vont de pair avec l’Islam obscurantiste et totalitaire.

Hélas, en considération des terribles attentats du 7 janvier dernier, le Mrap voyait juste, en soulignant le danger d’ignorer la justice sociale et la démocratie. Le Mrap voyait juste, en disant que les politiques néo-libérales conduisent les peuples dans une dangereuse impasse. La guerre contre le terrorisme n’est gagnable par personne. La guerre qu’il faut gagner, à l’échelle planétaire, est celle contre la malnutrition et la faim, contre les épidémies et les maladies, contre le gouffre des inégalités, contre la dégradation de l’environnement, contre les trafics d’armes, contre les paradis fiscaux…

Ne laissons planer aucune ambiguïté. Ne pas être étonné par la montée de la violence aveugle, ne veut pas dire disculper. Le terrorisme et l’assassinat, ne sont jamais une forme d’action souhaitable, légitime ou justifiable. Des actions efficaces, pour garantir la sécurité des personnes contre le terrorisme, sont indispensables. Toutefois, des mesures d’urgence ou de circonstance ne doivent pas conduire à des politiques liberticides, ni à exacerber un climat de guerre sécuritaire. La complexité et la violence de l’époque n’excusent rien. Mais, agir contre les causes profondes du terrorisme, est tout autant indispensable. De 21 000 à 32 000 milliards de dollars sont cachés dans les paradis fiscaux ! En 2016, quelques multimillionnaires (1%) posséderont plus de richesses que le reste de l’humanité (99%) ! Dans le même temps, des millions de femmes et d’hommes sont des martyrs de la guerre économique, des conflits, des dérèglements climatiques… Des milliers disparaissent engloutis par les flots en Méditerranée. Des milliers meurent dans les déserts d’Afrique et d’Asie. Cela tient du génocide. Des pays s’enfoncent dans la paupérisation et la clochardisation de leurs habitants. Une « terreur » économique existe qui a des conséquences. Elle est le fruit de la mondialisation capitaliste, incarnée par les oligarchies financières et les multinationales, pillant les Etats. Ce terrorisme économique là, enjambe les frontières. Il manipule les affaires de la planète à coup de transactions boursières, ou bancaires opaques, et de lobbies. Il dicte les traités internationaux, négociés dans le plus grand secret, consacrant la domination, jusqu’à l’outrance, des grandes firmes sur nos sociétés. Il construit un monde de brutalités sans bornes, à son image, au détriment du bien commun. Les élites politiques et économiques, grâce aux médias à leur service, usent constamment de la diversion pour en cacher le vrai visage. Quand la barbarie de la finance et de l’horreur économique, s’abattent sur les peuples, cela engendre des barbares.

Face à un tel constat, au regard de notre culture occidentale, de son modèle dit démocratique, de ses valeurs et de ses principes, pouvons-nous proclamer qu’aucune autre ne peut l’égaler ? Cela nous donne-t-il le droit d’aller guerroyer partout où c’est possible ? Ne soyons pas dupes des mensonges permanents des va-t-en guerres. Les idéaux révolutionnaires à faire rayonner, au-delà de nos frontières, sont ceux de la liberté, de l’égalité, de la fraternité et de la laïcité. Ici, nous devons enseigner réellement cette laïcité dans tous les lieux d’éducation et de formation, dans nos quartiers, dans nos associations, dans nos syndicats…

Il reste que le djihadisme, qui sévit dans nos banlieues, n’attire pas que des jeunes déshérités. C’est aussi la rencontre explosive de causes qui se cumulent. Le besoin de « pureté » et du refus du compromis, qui ont toujours existé dans tous les milieux, toutes les sociétés et toutes les époques, quand on a vingt ans. C’est les laissés pour compte de notre société et de notre école qui ne sont pas responsables du désert mental et de l’inculture totale qui les touchent. Malheureusement trop de cerveaux vierges et sans repères, sont disponibles pour l’implantation du message radical et simpliste du Salafisme mondial. Il est aussi évident que les groupes islamiques bafouent l’intelligence et le raisonnement des hommes. Ils mènent la guerre contre la citoyenneté, l’égalité, la liberté de conscience, l’Etat de droit et les droits humains. Ces groupes ne sont pas toujours constitués de simples égarés. Ce sont souvent des combattants fanatisés et déterminés. Notre monde occidental est perçu comme fondé sur la recherche de la jouissance et des biens, sur la permissivité, sur l’individualisme, et sur le consumérisme. Nous devons prendre conscience que des millions d’hommes veulent faire naître une autre société, bâtie sur une spiritualité politique, contraire au principe de laïcité.

Nous sommes fiers de nos combats et de nos analyses passés, Nous restons Charlie. Nous refusons de tomber dans le piège du terrorisme qui veut attiser les haines. Nous croyons à la France des droits de l’homme. Nous voudrions donc que beaucoup proclament avec nous :
- Nous sommes musulmans, quand leurs mosquées et leurs carrés sont attaqués.

- Nous sommes juifs, quand une enfant juive reçoit une balle dans la tête. Juifs, quand les clients d’un commerce casher sont abattus. Juifs, quand leurs tombes sont taguées ou détruites.
- Nous sommes la négritude quand une ministre noire de la République est méprisée et ignoblement caricaturée.
- Nous sommes Charlie, quand la Kalachnikov fauche le crayon insolent pour crime de blasphème.
- Nous sommes policiers, quand ceux qui protègent les journalistes, la liberté de la presse, nos libertés, sont assassinés.
- Nous sommes homosexuels, quand les intégrismes religieux, font descendre dans la rue des centaines de milliers d’obscurantistes contre l’égalité des droits.
- Nous sommes chrétiens quand des fanatiques, ailleurs dans le monde, massacrent ceux qui se réclament du Christ. Chrétiens, quand ils ont pourchassés ou passibles de la peine de mort, comme dans certains pays musulmans.

Nous sommes athées quand des religieux dogmatiques, veulent soumettre, dans l’art ou la presse, la liberté d’expression des non-croyants, à leurs interdits, Nous sommes le féminin quand les extrémistes islamiques oppressent les femmes et les enfants en les plaçant sous la coupe des religions et des coutumes.
- Nous sommes les Roms, détestés, expulsés, maltraités. Roms quand ils sont poussés dans les interstices d’une société qui les méprise et les rejette.
- Nous sommes la France de l’égalité, quand nous n’acceptons plus que les politiques d’Etat, successives, laissent des pans entiers d’une jeunesse marginalisée au bord du chemin, telles des proies livrées aux prédateurs de l’intégrisme religieux.
- Nous sommes procureurs quand nous condamnons tous les fondamentalismes et tous les communautarismes qui sapent le vivre ensemble.
- Nous sommes pacifistes quand la France, pour préparer la paix, va vendre pour 10 milliards d’armements cette année.
- Nous sommes militants d’un combat toujours inachevé quand nous luttons contre tous les racismes, sans hiérarchisation et sans concurrence des mémoires.
- Nous sommes utopistes quand, refusant d’être médiocre et d’attiser le feu de la défiance et des passions, nous voulons aller vers un idéal de fraternité.

Voila ce que nous sommes. Le 11 janvier, nous avons été dix mille à Saint-Lô à être « Charlie » Cet espoir est largement mis à mal depuis. Cet espoir ne doit pas être celui d’un moment, mais porter des fruits pour l’avenir. Il ne suffit pas de dire « Je suis Charlie ». Il faut être capable, demain, de faire preuve d’empathie avec l’Africain, l’Arabe, le Juif, le Rom, l’immigré, le jeune, le pauvre… Chacun a une histoire différente. Chacun vit douloureusement le racisme. Leur souffrance appartient à tous les hommes. Notre République oublie, trop souvent, le principe de justice, envers tous ceux qui ont construit et enrichi notre France. A tous permettons d’être pleinement des citoyens. De tous faisons des acteurs de notre démocratie. Refusons les clôtures qui séparent « soi » et « autrui ». Pour cette lutte là, il est à craindre que les rangs soient beaucoup plus clairsemés que le 11 janvier. Oui, parfois nous doutons que nos arguments soient entendus. Mais, nous avons une conviction profonde. Le combat que nous menons est juste et il ne faut jamais désespérer. .

Ceux qui prônent la stratégie des boucs émissaires sont insatiables. Une fois un bouc émissaire désigné et dévoré, c’est un autre qu’il leur faut trouver. Cette stratégie aboutit aux désordres sur la planète. Beaucoup ressentent, qu’au bout de la montée de toutes les formes de racismes, il peut y avoir la nuit. La bête rode. Soyons lucides sur ce qui peut advenir. Aujourd’hui, certains dirigeants politiques, certains patrons, certains éditeurs, promeuvent les visages du fascisme. Aujourd’hui, les impasses, le marasme, la récession, favorisent ce fascisme. Cette menace nous entoure. Elle n’est pas derrière nous. Aujourd’hui, toute l’Europe s’enfonce dans l’obscurité et l’extrême droite. Dans ces moments troubles, les principes de la Républiques doivent demeurer intacts, tel un phare dans la tempête. Puisse cette soirée, contribuer à renforcer la conscience d’une obligation de s’engager afin que le jour domine la nuit. Puise cette soirée contribuer à ce que grandisse la volonté d’être fraternellement toujours au côté du dominé, du discriminé. Si vous partagez nos combats et nos espoirs, rejoignez-nous.

Les germes de haine sont une menace. Les Hommes sont trop souvent incapables de la conjurer. La flamme de l’espoir peut parfois sembler étouffée. Mais partout, et depuis toujours, des ferments indestructibles d’espérance sont semés par des poètes, des écrivains, des philosophes, des peintres, des artistes, par celles et ceux émus par la beauté, la contemplation, la vie qui éclot, le sourire d’un enfant, la trace du vent dans les feuilles…

Jeudi nous avons procédé au vernissage de l’exposition : La Femme : citoyenne du monde. Estelle Mauger nous a fait découvrir quinze portraits de femmes, dans toutes leurs diversités. Le chemin, de la rude émancipation des femmes, sera encore long. Beaucoup montrent que leur destinée s’est accomplie au-delà de l’imaginable. Séparées par le temps, les origines, les frontières, un trait commun les relie toutes. Toujours, les femmes de courage ont été au premier rang dans la lutte pour abolir l’exploitation, les oppressions, les humiliations, les discriminations et les inégalités. Des millions de femmes en sont encore les victimes dans le monde. Mirabeau disait : « Tant que les femmes ne s’en mêlent pas, il n’y a pas de révolution. » Faire avancer les idées progressistes et bâtir des sociétés démocratiques, respectant la moitié de l’humanité, ne se fera pas sans les femmes.

Aujourd’hui nous accueillons Jacques Lebouteiller. C’est un de ces poètes, qui au travers de ses mots, nous aide à rencontrer plus de vérités. Talentueusement, il chante les petits bonheurs ou malheurs que la vie et les hasards nous donnent. Il chante l’inhospitalité des grandes villes, la marginalisation, l’insatisfaction, l’amour de l’humanité. Merci mille fois à Jacques, ami de longue date du Mrap, de nous offrir, ce soir, beaucoup de talent. Et pour terminer, nous voudrions vous lire un poème d’Abdellelatif Laâli, dont le titre est « J’atteste », écrit le 10 janvier 2015. Face à l’horreur, il nous dit ce que doit être, chaque jour, notre fierté d’homme.

J’atteste,

qu’il n’y a d’Etre humain que,

Celui dont le cœur tremble d’amour

pour tous ses frères en humanité,

Celui qui désire ardemment plus pour eux

que pour lui-même liberté, paix et dignité,

Celui qui considère que la vie est encore plus

sacrée que ses croyances et ses divinités,

J’atteste,

qu’il n’y a d’être humain que,

Celui qui combat sans relâche

la haine en lui et autour de lui,

Celui qui dès qu’il ouvre les yeux au matin

se pose la question,

Que vais-je faire aujourd’hui

pour ne pas perdre ma qualité et ma fierté d’homme ?

Les mots sont importants mais les actes aussi. Merci pour votre présence.